Secrets de famille et transparence.

Les familles ont leurs secrets. Les entreprises familiales ont leur discrétion. Dans une période où la transparence est vantée dans tous les discours, est-ce une anomalie ? Comment composer avec la transparence dans la gouvernance ?

Un secret sert à cacher ou oublier une réalité. Effectivement, les sagas familiales contiennent leurs lots d’histoires, de jalousies et de rancoeurs cachées. Ici, les vraies raisons de l’exclusion d’un oncle des affaires. Là, la démarche insidieuse de rachat d’une branche familiale… Autant de motifs ou d’actes dissimulés qui ont pu envenimer pour longtemps les relations humaines, créer de la défiance jusqu’au point de perturber la réussite de l’entreprise. A la question « Dites-nous comment ça s’est passé ? » répond un silence gêné. Il aurait été plus sain que ses secrets soient exprimés au sein de la génération concernée ou de la suivante pour être dépassés et éviter la contamination aux générations ultérieures.

On observe régulièrement des phénomènes de reproduction transgénérationnelle de conflits. Parler des secrets de famille est possible mais demande de dépasser les peurs du jugement et d’accepter les émotions au profit de la compréhension. Cette qualité de communication permet de développer ou de renforcer des valeurs familiales d’authenticité et de vérité. Des secrets sont donc à partager pour la cohésion et la confiance mais ils sont également à protéger. En effet, cette communication doit demeurer intrafamiliale. Ces histoires n’appartiennent qu’à la famille et sont donc à conserver dans ce seul cercle. Cette modalité de transparence se limite aux membres concernés. Elle est orientée vers une compréhension partagée de l’histoire sans aller plus loin. Tout n’est pas à dire. La gouvernance familiale peut en être le lieu privilégié.

La discrétion concerne d’autres cercles, celui de l’actionnariat, voire celui de l’entreprise. « Vivons bien – vivons cachés » rappellent certains groupes familiaux. Une discrétion est souvent nécessaire face à la curiosité ou aux enjeux externes. Mais une visibilité de ce qui est fait, de ce qui se construit pour l’avenir est également importante. Par exemple, savoir pour les partenaires et les salariés de l’entreprise que la famille réfléchit à la succession, que la nouvelle génération se prépare, qu’une gouvernance fonctionne et que la transmission s’organise. Récemment dans un groupe familial, cette communication a été très appréciée par les salariés et a conjuré les peurs ou les rumeurs d’être un jour racheté. Il convient de discerner la justesse et la limite de ce qu’il faut dire. L’essentiel est d’être clair sur ce qui peut et qui doit être dit. C’est une autre forme de transparence, dédiée à des personnes et orientée vers la clarté.

En gouvernance, la transparence au sens littéral est une illusion. Les réalités humaines et stratégiques du pouvoir, dans tous les contextes, s’y opposent. D’autre part, la complexité des enjeux, l’accélération des évènements et les limites de la communication ne permettent pas la transparence parfois souhaitée. Le mot rassure dans les discours mais son utilisation est excessive aujourd’hui. Elle est parfois manipulatrice en laissant croire que l’on pourrait tout voir et tout savoir. A quelques belles exceptions près, il restera toujours des zones d’ombre, non avouables, ni justifiables.

Le recours récent à la transparence sert à reconstruire ou à renforcer la confiance, notamment envers les décideurs. Par lucidité, envisageons davantage la transparence comme une intention qui se concrétise et qui concerne des acteurs bien définis. Pour la famille, elle peut viser, par exemple, la compréhension d’une période obscure de l’histoire. Pour l’actionnariat ou l’entreprise, elle vise un niveau de clarté et de précisions pour les parties prenantes. Dans le contrôle des affaires comme dans le déploiement d’une stratégie, elle s’organise sans prétendre être exhaustive autour de trois concepts : le « monitoring », à savoir la possibilité de mesure d’une activité, le « reporting », consistant à transmettre des données organisées et la « verification », attestant de la véracité des informations.

Ainsi pour des dirigeants d’entreprise, la transparence est avant tout une pratique éthique. Elle se structure autour d’un des premiers fondements de la gouvernance : aborder le bon sujet, avec les bonnes personnes, au bon moment et dans la bonne instance. Elle y rajoute la justesse et la précision des informations mais aussi des limites. Elle engage la responsabilité de la sincérité.