Construire ses équilibres

Léon, 32 ans, a suivi le parcours tracé pour lui dès l’enfance : il s’est préparé à reprendre le flambeau familial en suivant la formation requise, en se construisant une expérience solide auprès d’entreprises concurrentes, et en participant en tant qu’actionnaire aux réunions et assemblées générales. A la veille de sa prise de fonction, il doute : « Intégrer l’équipe dirigeante de notre entreprise a toujours été mon projet, en tant qu’aîné de la nouvelle génération. Je me demande si je suis prêt à sacrifier ma vie familiale, et mes propres aspirations professionnelles, comme l’ont fait mes parents. »

 

 

L’entreprise familiale est parfois perçue par les jeunes générations comme étant un lieu de sacrifices, notamment pour les actionnaires qui font le choix d’y être opérationnels. Alice se sent « dévorée par l’entreprise ».

Dans les accompagnements de jeunes actionnaires, nous avons pu identifier quatre équilibres à trouver, et quelques éléments de réponses pour chacun d’entre eux.

 

L’équilibre entre passé, présent et futur. Il s’agit de faire coexister tradition et innovation, et de garder une ligne directrice claire et intergénérationnelle. Une réflexion sur la vision long terme et les valeurs communes est une première étape intéressante, en intégrant tous les actionnaires (opérationnels et non-opérationnels). On pourra aborder certains fondamentaux : quelles valeurs nous sont chères ? Comment les faisons-nous vivre ? Pourquoi et pour quoi faire ? Les valeurs ainsi définies pourront être traduites en actions concrètes, et en une planification stratégique pour limiter les risques et saisir les opportunités.

Pour faciliter l’innovation, certaines familles encouragent l’esprit entrepreneurial de la nouvelle génération, à qui elles proposent d’investir sur ses projets créateurs de valeur. Les membres de la nouvelle génération peuvent ainsi trouver leur place en développant une activité (ou un nouveau marché) de façon autonome tout en profitant des conseils et de l’appui de l’entreprise.

 

L’équilibre entre famille, patrimoine et entreprise. Lucie raconte :« Je suis souvent en porte à faux, comme par exemple sur le sujet du loyer des bureaux: en tant que propriétaire de la SCI, j’ai intérêt à ce que le loyer soit élevé, en tant qu’opérationnel de l’entreprise, l’objectif est de réduire les charges. Il faut naviguer entre ces objectifs contradictoires» De la même façon, ce qui professionnalise l’entreprise ne facilite pas toujours les relations familiales. Une clé de réponse peut être la structuration de la gouvernance, afin de séparer les sujets et de rechercher de meilleurs équilibres. Dans certains cas, c’est le Conseil de Famille qui en porte la responsabilité : il réunit les membres de la familles sur les sujets liés à l’actionnariat, peut orienter les choix d’investissements, définir les rôles et responsabilités de chaque membre, définir des méthodes de contrôle du patrimoine…

 

L’équilibre entre actionnaires. Le défi est de réussir à créer des relations professionnelles, tout en maintenant la confiance entre actionnaires. Une première étape est la définition claire des rôles et responsabilités de chacun, le plus tôt possible. Arnaud raconte : « Nous avons dû faire face à des frustrations de la part de certains actionnaires qui avaient l’impression d’avoir été lésés. Nous avons procédé de la façon suivante : tous les rôles clé de gestion ont été identifiés, nous avons formalisé, pour chacun, un descriptif de poste et avons identifié les critères de qualification requis. »

Ce type de clarification permet de faciliter l’équité de traitement entre actionnaires.

Une seconde clé de réponse est le renforcement de la cohésion, à travers des événements conviviaux réguliers et hors de l’entreprise. L’objectif est de se connaître mieux sur le plan personnel afin de développer la relation de confiance.

 

L’équilibre entre projet collectif et projets individuels. Pour certains actionnaires, il est essentiel de pouvoir poursuivre des projets individuels, ce qui n’est pas toujours compatible avec une carrière opérationnelle dans l’entreprise familiale. Il s’agit de permettre à la fois l’indépendance et l’attachement familial. Certaines familles proposent un accompagnement double : des journées collectives de formation et d’échanges sur l’histoire et le savoir-faire familial, l’actionnariat, le rôle d’actionnaire. En parallèle les jeunes sont aussi soutenus dans leurs aspirations individuelles, par du conseil et des formations.

 

Il ne s’agit donc pas de rechercher son équilibre mais bien ses équilibres, par un processus de construction constante.